L’Institut Supérieur des Métiers et l’U2P publient un portrait inédit des travailleurs indépendants des secteurs de l’artisanat, du commerce et des professions libérales. L’objectif est aussi d’analyser l’impact du régime micro-entrepreneur, qui en quinze années a considérablement modifié le monde des indépendants et s’est imposé en tant que nouveau modèle économique d’activité et d’auto-emploi.
2.850.000 indépendants exercent en 2022 dans les secteurs de proximité.
Deux indépendants sur trois exercent donc dans un secteur professionnel de l’U2P (artisanat, commerce, professions libérales). Plus de la moitié sont des professionnels libéraux.
Leur nombre est en forte hausse dans ces secteurs ces dernières années (ils étaient au nombre de 2 076 000 en 2017 !). Les trois quarts d’entre eux sont des entrepreneurs individuels, les gérants de société ne représentant qu’un quart des cotisants à ce régime.
C’est bien la population des entrepreneurs individuels qui explique principalement cette hausse, notamment ceux du régime micro-entrepreneur dont le nombre excède désormais ceux des cotisants du régime classique. Les chiffres sont certes à minimiser : environ 12% des indépendants sont des micro-entrepreneurs ne déclarent aucun chiffre d’affaires.
Le régime du micro-entrepreneur a considérablement modifié le monde des indépendants et de la petite entreprise.
En 2022, 51% des indépendants des secteurs de proximité exercent désormais sous le régime micro-entrepreneur, soit 1.450.000 micro-entrepreneurs.
Le régime a gagné en attractivité depuis le doublement des seuils de chiffres d’affaires en 2018. Deux créations d’entreprise sur trois se font en moyenne désormais sous ce régime.
En 2022, les micro-entrepreneurs sont majoritaires au sein du régime non salarié dans la quasi-totalité des secteurs de proximité, sauf dans l’artisanat et le commerce de l’alimentation et dans l’hôtellerie-restauration. Ils sont notamment prépondérants dans l’artisanat des services et de fabrication (73 %) et les professions libérales techniques et du cadre de vie (76 %).
La croissance du nombre de micro-entrepreneurs est observée dans tous les secteurs, avec des degrés néanmoins variables. Elle est la plus élevée dans l’artisanat de fabrication (+113% entre 2017 et 2022), notamment les secteurs du textile/habillement (+155%), du travail du bois (+142%) et de fabrication d‘articles divers (+141%). L’artisanat des services est également concerné (+110%, 152% dans les services divers dont le nettoyage de bâtiments).
Dans l’alimentation et le commerce de l’alimentation, le régime progresse particulièrement dans la fabrication de produits alimentaires (+150%), l’artisanat commercial étant préservé.
Le nombre d’indépendants du régime classique est quant à lui en baisse dans le monde artisanal, sauf dans le BTP. Le régime micro-entrepreneur phagocyte progressivement le régime de l’entreprise individuelle classique dans la majorité des secteurs, à l’exception des professions libérales réglementées, où il est interdit. En revanche, il semble ne pas avoir d’impact sur les formes sociétaires et les régimes associés.
Le poids de la micro-entreprise parmi les indépendants des secteurs de proximité est variable selon les territoires. Ce poids varie du simple au double d’un département à l’autre : il est globalement le plus élevé en Ile-de-France et sur le littoral méditerranéen. La part la plus élevée est relevée en Seine-Saint-Denis (67% des indépendants) et dans l’Essonne (66%). Le régime micro-entrepreneur est souvent moins présent dans les départements de l’Ouest de la France et du Massif-Central, notamment dans les départements ruraux (les taux les plus faibles sont ceux du Cantal : 34%, de la Lozère : 37% et de la Manche : 39%).
Micro-entrepreneur versus « gérants de société » : la nouvelle bipolarisation du tissu de petites entreprises
Le déploiement du régime micro-entrepreneur a donc conduit à une mutation profonde des modèles d’entreprise et à une bipolarisation des modèles :
- D’un côté, des micro-entreprises (un nouveau modèle d’entrepreneuriat, « malthusien » en matière de développement, souvent « intermittent» et éphémère) : cette population d’entreprises regroupe les anciens « précaires » (entreprises dépendantes de quelques clients), une grande partie des entrepreneurs exerçant seuls et ayant peu d’investissements productifs à réaliser, des polyactifs (entrepreneurs à temps partiel exerçant également un emploi salarié), voire des entrepreneurs en provenance d’un régime classique.
- De l’autre, le modèle traditionnel de la très petite entreprise, désormais majoritairement exercé en société. Les entreprises employeuses, les entreprises devant faire appel à du financement extérieur, appliquer des contraintes réglementaires spécifiques, aborder des marchés publics font partie de ce groupe d’entreprises.
Le déploiement du régime micro-entrepreneur a eu pour autre impact de développer le nombre d’entreprises sans salarié. Le nombre total d’entreprises de proximité sans salarié est ainsi passé globalement de 62% à 73% entre 2008 et 2021. Dans l’artisanat, le phénomène est encore plus prononcé (de 49% en 2008 à 71% en 2020). Le nombre d’entreprises employeuses a d’ailleurs baissé en valeur absolue dans l’artisanat, témoignant de la difficulté des entreprises à se développer et/ou du désamour des professionnels à gérer des salariés.
Le succès du régime micro-entrepreneur s’est fait indépendamment des objectifs initiaux de ce dispositif.
Pour mémoire, le régime micro-entrepreneur a été créé dans un contexte de crise économique (la crise financière de 2008), avec comme argument politique de permettre « un gain en pouvoir d ‘achat en complétant ses revenus par une activité économique accessoire ». Or, près de 84% des micro-entrepreneurs exercent cette activité dans le cadre d’une activité principale (alors que le régime était pensé prioritairement pour générer des compléments de revenus). Les revenus des micro-entrepreneurs économiquement actifs sont pourtant six moins élevés que ceux des indépendants des régimes classiques.
Le régime micro-entrepreneur est par ailleurs peu utilisé comme une phase « test » et un tremplin vers l’entrepreneuriat classique. 1% des micro-entrepreneurs évoluent chaque année vers le régime classique (les changements de régime sont plus fréquents dans les professions libérales paramédicales et dans l’artisanat du bâtiment).
Si le turn-over du tissu est très élevé les trois premières années (seule une entreprise sur deux atteint sa troisième année), près de 40% des micro-entrepreneurs sont actifs depuis plus de 5 ans et ont une activité pérenne, sans aucun objectif d’évolution vers un modèle classique.
A noter enfin : les micro-entrepreneurs ne sont pas tous des « créatures » de l’économique numérique. Seule une minorité trouve ses marchés par le biais des plates-formes numériques.
Le succès du régime provient de plusieurs facteurs :
- la simplicité des formalités d’immatriculation et de gestion ; la possibilité d’entreprendre sans risque (et même souvent sans projet abouti).
- l’évolution des formes de travail et du rapport au travail : l’envie d’indépendance est une valeur en hausse et le régime micro-entrepreneur permet de choisir son temps de travail.
Profils des indépendants, activité et viabilité économique
Le déploiement de ce régime a donc amené dans l’entrepreneuriat de nouveaux profils : indépendants exerçant leur activité à temps partiel, en complément d’une activité salariée ou par choix ; indépendants précaires sur le marché de l’emploi et souvent bénéficiaires de revenus sociaux. Sans risque financier, il a permis l’installation plus précoce de jeunes entrepreneurs.
Age des indépendants : les micro-entrepreneurs sont en effet plus jeunes que les indépendants des régimes classiques.
La préférence donnée au régime micro-entrepreneur par de jeunes entrepreneurs peut être liée à plusieurs facteurs :
- Une faible capacité d’emprunt bancaire et d’investissement (le choix du régime micro-entrepreneur peut être une alternative quand l’acquisition d’un fonds de commerce ou la location de locaux professionnels est impossible).
- L’impossibilité de trouver un emploi salarié en sortie de formation.
La population des indépendants des régimes classiques, dont le renouvellement est faible pour ce qui concerne les chefs d’entreprises individuelles, est en revanche vieillissante : 43% ont 50 ans et plus.
Les femmes font également plus souvent le choix du régime micro-entrepreneur (sauf dans l’artisanat du bâtiment ).
Globalement, elles représentent 43% des micro-entrepreneurs, contre 40% des indépendants du régime classique. Le régime tend donc à attirer dans l’entrepreneuriat plus de femmes. On constate néanmoins que les choix d’activité restent très genrés.
Activité : seuls les ¾ déclarent un chiffre d‘affaires.
Le taux de micro-entrepreneurs actifs évolue peu dans le temps (à part une baisse observée durant la crise sanitaire). Le taux de transformation économique du projet entrepreneurial varie selon les secteurs : il est le plus élevé dans la coiffure (91% de micro-entrepreneurs actifs économiquement), dans les métiers d’art (céramique, coutellerie, facture instrumentale, verre, taille de pierre…), les professions paramédicales non réglementées et l’enseignement. Il est plus faible (60% des comptes de micro-entreprises) dans les services informatiques et le conseil en gestion.
Revenus d’activité : ceux des indépendants classiques sont six fois supérieurs à ceux des micro-entrepreneurs. Le revenu moyen des micro-entrepreneurs de ces secteurs est de 7 609 €, au lieu de 49 884 € pour les indépendants des régimes classiques.
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