Historiquement, les compétences de l’artisanat ont toujours été utilisées par l’industrie dans son développement : on parlait autrefois d’industries de métiers pour qualifier ces petits ateliers très actifs dans les domaines de la fonderie, de la mécanique générale, du décolletage. Faut-il le rappeler, il y a aussi une tradition de compagnonnage dans la chaudronnerie…

La dernière étude consacrée au secteur, en 1982, dressait un portrait mitigé de ces entreprises sujettes à une grande dépendance par rapport à leurs donneurs d’ordre. La sous-traitance de capacité y était alors forte. Depuis, avec la mondialisation et la sophistication des outils de production, l’industrie a profondément fait évoluer son organisation. Comment les entreprises artisanales de sous-traitance industrielle ont-elles réagi ? L’étude permet de répondre à ces questions.

3 thèmes ont été étudiés :

  • le poids de l’artisanat dans la sous-traitance industrielle
  • les marchés de ces entreprises
  • leurs enjeux de développement

L’étude a porté sur le cœur de la sous-traitance industrielle, à savoir une vingtaine d’activité dans quatre grands secteurs de la sous-traitance :

  • les industries transformatrices des métaux, qui regroupent le plus grand nombre des entreprises de sous-traitance industrielle (décolletage, mécanique, industrielle, chaudronnerie, revêtement des métaux, boulonnerie….)
  • la plasturgie et la transformation du caoutchouc (un millier d’entreprises)
  • la sous-traitance électronique.
  • la fonderie, qui comptent quelques centaines d’entreprises.

Ces entreprises représentent 15.000 entreprises  qui travaillent quasi-exclusivement en sous-traitance, pour le compte de tiers . C’est peu en nombre, mais cela représente les trois quarts des entreprises de sous-traitance industrielle (dans ces mêmes activités, on compte 5000 PMI). Cela représente un quart de l ’emploi salarié du secteur et 15% du CA global.

Implantées sur l’ensemble du territoire français, les entreprises se concentrent néanmoins dans les territoires industriels historiques. La principale région de localisation des entreprises est la région Rhône-Alpes. Le Nord, les Bouches-du-Rhône, la Moselle, la Seine-Maritime, la Loire-Atlantique et la Seine-et-Marne présentent également un tissu dense d’entreprises.

Les entreprises interrogées dans le cadre de notre étude étaient de toutes tailles (en moyenne 5.5 salariés). Ces entreprises ont pour la plupart démarré sans salarié, avant de se développer, à une plus ou moins grande échelle. L’artisanat est donc un terreau de PMI. A noter toutefois : les entreprises qui se créent depuis ces trois dernières années le sont souvent « en solo, sans emploi » (il y a de nombreux auto-entrepreneurs). Ces entreprises sont peu rentables et auront  une vraie difficulté à grandir.

La création, modalité d’installation la plus fréquente :  La plupart des entreprises rencontrées ont été créées ex nihilo. Un tiers des entreprises interrogées ont fait l’objet d’une reprise

  • 1/3 : par un membre de la famille
  • 1/3 : par un salarié
  • 1/3 : par un repreneur externe, souvent d’anciens cadres de l’industrie.

Des multi-entrepreneurs : 1 dirigeant sur 10 est à la tête de plusieurs  entreprises. Dans ce cas de figure, les savoir-faire sont souvent complémentaires et il y a souvent partage des fonctions transversales  (commercial/bureau d’étude/qualité).

Les entreprises  ont été interrogées sur les caractéristiques de leurs trois principaux clients. Il s’agit majoritairement de PMI et grandes entreprises localisées sur la France entière, même si beaucoup sont en proximité. 16% des entreprises ont l’un de leurs principaux clients localisé à l’étranger. Ces clients de l’artisanat industriel relèvent de tous les grands secteurs de l’économie :

  • 1.Métallurgie
  • 2.Industrie automobile
  • 3.Industrie agro-alimentaire
  • 4.Construction
  • 5.Autres Industries manufacturières
  • 6.Fabrication de machines et équipement
  • 7.Construction aéronautique

L’étude menée en 1982 mettait en exergue la très forte dépendance des entreprises artisanales par rapport à leurs donneurs d’ordre. Les chiffres qui nous ont été données montent une évolution :

  • Le client principal est certes très important dans l’activité ‘il représente le plus souvent entre 10 et 25% du CA);
  • 20% des entreprises sont encore très fortement dépendantes d’un client principal.
  • C’est l’évolution des types de prestations qui a permis aux entreprises de mieux contrôler leur dépendance.

En effet, en trente ans, l’artisanat a réalisé une profonde mutation dans les travaux réalisés, en mutant massivement vers une sous-traitance de spécialité. On est passé plus souvent à des prestations de « sur mesure industriel ». Par ailleurs, les entreprises artisanales sont positionnées à tous les maillons de la chaîne de sous-traitance (selon leurs clients, en rangs 1, 2 ou 3) et pas seulement en bout de chaîne, comme le voudraient certaines idées reçues.

Autre axe de repositionnement, les travaux les plus fréquemment réalisés concernent des petites séries ou des pièces uniques, pour lesquelles la production n’est pas délocalisable et les marges plus confortables.

Les prestations sont très diversifiées. Si la fabrication de pièces demeure centrale, les entreprises proposent souvent en parallèle :

  • des travaux de finition et d’assemblage (une entreprise sur deux) ;
  • des travaux de prototypage  (40%) ou de conception (30%) ;
  • de plus en plus souvent, des travaux de maintenance (38%).

Les entreprises artisanales de sous-traitance industrielle ont donc des prestations de forte valeur ajoutée en conception/innovation. Les facteurs d’accès aux marchés sont multiples :

  • Le donneur d’ordre ne s’adresse à l’entreprise que si elle dispose des compétences techniques requises.
  • Passé ce filtre, le facteur d’accès le plus fréquemment cité est la réactivité et la capacité à respecter les délais : un facteur de plus en plus important en raison de la mise en place de la production en flux tendus par les donneurs d’ordre.
  • La relation de confiance est également essentielle, les plupart des marchés se faisant de gré à gré ou en consultation restreinte.
  • Le facteur prix apparaît en 4e position ; il est moins primordial pour des travaux de spécialité.

La proximité est tangible dans la localisation  régionale des clients, mais il s’agit d’un critère moins important : la proximité est désormais celle du territoire  « France », dans la mesure où l’on peut livrer sur l’ensemble du territoire en moins de 24 heures.

Quelle est actuellement la santé économique de ces entreprises ? Au moment où l’enquête a été réalisée (septembre), l’activité est soutenue.

Le taux d’utilisation des capacités de production a été élevé sur les 12 derniers mois  (78%) et le taux de retour de devis est élevé. Les années 2010 et 2011 ont été des années de reconquête du CA et des marchés après la crise de 2009 : Une entreprise sur deux a été durement touchée par la crise économique (les plus touchées ont été les entreprises de plus de 15 salariés).

Pourtant, malgré l’activité, les entreprises travaillent sans visibilité sur leur carnet de commande : près de la moitié a un carnet de commande inférieur à un mois.  pour 20%, ce carnet est d’une semaine au plus.

De l’activité, mais une faible visibilité : comment expliquer ce paradoxe ?

  • Les entreprises ne contractualisent pas leurs marchés, même s’ils sont récurrents.
  • La relation avec le donneur d’ordre est basée exclusivement sur la confiance et la réactivité.
  • 79% des entreprises ne formalisent jamais aucun contrat.
  • La plupart des marchés sont passés de gré à gré.
  • Les marchés obtenus par consultation restreinte ne représentent qu’1/4 du CA, les appels d’offres 14%.

C’est la mise en place de la gestion en flux tendus dans l’industrie qui est sans doute l’origine de cette faible contractualisation (certaines entreprises artisanales notent qu’il y a eu un recul dans ce domaine). Cette gestion en flux tendus contraint les entreprises artisanales à toujours plus de réactivité et à une pression croissante sur les délais. Il a a donc de nombreux points de progrès dans la relation de sous-traitance par l’amélioration de la contractualisation  :

  • Contractualiser dans la durée pour augmenter la visibilité sur le carnet de commande et permettre aux entreprises d’investir ;
  • les retards de paiement restent un problème pour une entreprise sur trois (même si les progrès ont été considérables : en 1982, les délais allaient jusqu’à 180 jours !)
  • limiter les risques d’exploitation : une entreprise sur 5 a fait face à des désengagements brutaux, 1 sur 7 à des baisses de prix unilatérales.

Les enjeux de développement sont nombreux pour ce secteur indispensable aux filières industrielles, d’autant que ces entreprises sont fortement dynamiques : 1 sur 2 a un objectif de croissance, que ce soit par diversification des activités, par élargissement de la zone de chalandise ou par l’amélioration de la qualité de service. A noter : ces entreprises n’ont pas délocalisé et très rares sont celles qui optent pour cette stratégie, souvent d’ailleurs pour suivre l’un de leurs donneurs d’ordre.

Les entreprises doivent poursuivre l’effort engagé pour diversifier leurs marchés :

  • En dehors de la proximité, sur le marché national et international
  • elles doivent pour ce faire intégrer les réseaux, qui permettent de se faire connaître, de se faire recommander ou  et de « chasser en meute »
  • elles doivent diversifier leurs modes d’accès aux marchés et sortir du seul gré à gré.

Pour cela, il est indispensable que les compétences commerciales soient structurées et renforcées :

  • seules 13% des entreprises ont structuré ce poste
  • 14% des entreprises participent à des salons.

Ces entreprises doivent également être accompagnées dans leur croissance. Ce sont les PME de demain.

Il convient donc de porter une attention soutenue à la relève (les entreprises qui se créent ou se reprennent). Ces entreprises se créent trop petites, faute d ‘accéder aux financements, avec une faible rentabilité.

Concernant celles qui ont franchi le cap des premières années, il faut accompagner la croissance : leur évolution est souvent en dents de scie, les palliers de croissance étant difficile à franchir.

Face à des crises de croissance internes et difficultés de gestion, certains dirigeants auto-limitent la croissance et se recentrent : un tiers des entreprises a dépassé 10 salariés (elles ne sont plus que 17%).

La compétitivité de ces entreprises est concentrée dans le hors cout, sur leurs savoir-faire et leur réactivité. Il faut les aider à développer des savoir-faire de niche

  • soit par innovation de support technologique – En permettant des investissements réguliers, de dernière génération.
  • soit par l’innovation procédés/matériaux, en valorisant les innovations. En effet, les entreprises réalisant du prototypage et des travaux de conception ont un CA et des marges plus souvent en hausse.

Le maintien d’un haut niveau d ‘investissement est lié à une sécurisation des marchés. Les investissements doivent être réalisés tous les trois ans, pour rester dans la course. Les équipements doivent être optimisés (1/5 est mal installée, en raison de l’inadéquation de l’offre immobilière dans les communes).

Or, ces entreprises ont des difficultés d’accès au financement. 70% des entreprises sont favorables à la création d’un fonds d’investissement dédié aux petites entreprises.

Les entreprises sont conscientes de la qualité et de l’importance stratégique de leur capital humain. 22% ont actuellement des projets d’embauche, soit 3500 emplois à l’échelle nationale. Ces projets d’embauche concernent principalement des postes techniques : Tourneur fraiseur, Chaudronnier, Soudeur, Opérateur de machine, Usineur, Conducteur de chaîne, Chef d’atelier, Métallier, Mécanicien, CAO, Tuyauteur, Peintre sableur, Ajusteur outilleur, Monteur régleur….

Beaucoup de ces métiers sont en tension, rendant les projets de recrutement sont difficiles (voir enquête 2012 « Besoins de Main d’Œuvre », Pôle Emploi : le taux de recrutements difficiles atteint 75% pour les métiers de chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers, métalliers, forgerons). Cette demande ouvriers qualifiés devrait s’élever en raison de la pyramide des âges (voir conclusions du Conseil  d’Analyse Stratégique, 2007).

Des entreprises à l’écart des politiques publiques

  • Les deux tiers des entreprises n’ont bénéficié d’aucune aide ou accompagnement ces trois dernières années.
  • Des accompagnements trop ciblés PMI à potentiel et ETI ?

Les principales aides mobilisées sont celles  de la Région ( 13% des entreprises) ou d’Oséo (9%). Les appuis des réseaux consulaires ne concernent que 13% des entreprises.

Elles sont également à l’écart des dynamiques de réseaux  : 6% participent à un cluster, 2% à un pôle de compétitivité. 57% des entreprises sont favorables à la création de groupements aux savoir-faire complémentaires.