Réseau Artisanat Université® (Annales 2008-2009)
Club des Dirigeants du Réseau Artisanat-Université® de Haute-Normandie
François Aballéa, Professeur des Universités, Université de Rouen, GRIS / Florence Cognie, Enseignant-chercheur, Université de Rouen, GRIS
Initié en 2002 par l’Institut Supérieur des Métiers, le Réseau Artisanat-Université® associait, au sein de clubs régionaux, universitaires et dirigeants d’entreprises artisanales. Le projet avait a pour objectif de développer l’effort de recherche appliquée sur l’artisanat et la petite entreprise et de faciliter les collaborations entre deux sphères qui n’avaient guère jusqu’ici l’occasion de collaborer : l’artisanat (entrepreneurs dirigeants et responsables socioprofessionnels de l’artisanat) d’une part, et l’enseignement supérieur et la recherche (universitaires, chercheurs, doctorants).
Rédigés par les équipes universitaires parties prenantes, les articles qui composent ces Annales sont une synthèse des cycles de travail conduits par les Clubs.
Résumé : La proximité est devenue ces dernières années un élément fort non seulement de l’identité de l’artisanat, mais d’une certaine approche de l’économie. Mais est-elle plus qu’une rhétorique fortement idéologisée de défense et de promotion de l’artisanat ? Est-elle un concept opératoire, c’est-à-dire
susceptible d’avoir une traduction concrète dans les pratiques tant des artisans que des institutions qui encadrent le secteur ? À tout le moins, apparaît-elle multidimensionnelle et porteuse d’exigences qui peuvent à la fois constituer des atouts et des contraintes du développement de l’artisanat.
Mots-clés : Proximité spatiale, proximité sociale, proximité culturelle, proximité fonctionnelle, proximité temporelle, proximité économique, proximité institutionnelle, proximité sociétale
L’économie de la proximité reste en grande partie à construire. D’une part parce qu’elle contrarie de trop puissants intérêts économiques et financiers, réévalue trop les rapports entre les économies du monde, bouleverse trop nos façons de penser et de vivre, d’acheter et de consommer pour qu’elle ne génère pas de profondes résistances. D’autre part parce que les artisans qui sont perçus comme des acteurs essentiels n’en maîtrisent pas toutes les dimensions opérationnelles et que leurs institutions d’encadrement n’ont pas la capacité mobilisatrice nécessaire pour passer d’une rhétorique à une opérationnalité concrète.
Celle-ci suppose en outre un artisanat partageant les valeurs canoniques et les pratiques, les codes de conduite qui, pour être actualisés, renouvelés et modernisés, n’en restent pas moins ceux de l’univers des métiers traditionnels et de ses institutions. Or le monde de l’artisanat est divers, sinon de plus en plus divers, du fait de la mobilité sociale qui a affecté nos sociétés depuis la Seconde guerre mondiale donnant naissance à des identités hybrides ou floues et brouillant les catégories au cours de trajectoires professionnelles de moins en moins linéaires.
D’un autre côté, les transformations qu’ont connues l’industrie et le commerce bouleversent aussi le rapport de l’artisan au territoire et au client le mettant en concurrence avec des acteurs, filiales, enseignes, grands groupes, etc. de plus en plus réactifs, individualisant de plus en plus leurs prestations.
Enfin, les exigences gestionnaires et managériales, les contraintes réglementaires administratives et comptables, même très inégalement intériorisées par les artisans, n’imposent pas moins un référentiel largement ignorant des particularités locales et sociales.
Est-il certain d’ailleurs que les artisans soient en capacité de jouer la carte de la proximité ainsi entendue sous toutes ses dimensions, d’en adopter les présupposés et d’en assumer les conséquences ? C’est en définitive la question que se posent les artisans au terme de ce cycle. Cette approche de la proximité est exigeante. Elle peut heurter la volonté d’autonomie et d’indépendance, obliger à des coopérations plus ou moins volontaires et au respect de certaines normes ou usages, voire de cahiers des charges avec des retours sur investissement parfois aléatoires. Elle nécessite une participation institutionnelle coûteuse en temps et en énergie. Elle exige un effort particulier de formation des apprentis et des compagnons. Elle nécessite enfin une sensibilisation
de l’opinion. Reste que la proximité procure des ressources et des atouts pour que la volonté ou la nécessité d’être un acteur de la proximité se concrétise dans un projet à la fois personnel, familial, social et professionnel.
Summary : Going local : from rhetoric to operationality
In recent years, the concept of “local” has become a key aspect, not only of the identity of traditional crafts, but of a certain approach to the economy. But is it more than a strongly ideological rhetoric to champion and promote those crafts? Is it an operating concept, in other words is it likely to have a practical impact on the practices of both artisans and the institutions that oversee the sector? At the very least, it presents multiple aspects and involves
requirements which could constitute both assets and constraints on the development of traditional crafts.
Keywords : going local, spatial proximity, social proximity, cultural proximity, functional proximity, temporal proximity, economic proximity, institutional proximity, societal proximity.