Réseau Artisanat Université® (Annales 2009-2010)
Club des Dirigeants du Réseau Artisanat-Université® de Haute-Normandie
Florence Cognie, Enseignant Chercheur- GRIS, Groupe de Recherche Innovation et Société, Université de Rouen
François Aballéa, Professeur des Universités – GRIS, Groupe de Recherche Innovation et Société, Université de Rouen
Initié en 2002 par l’Institut Supérieur des Métiers, le Réseau Artisanat-Université® associait, au sein de clubs régionaux, universitaires et dirigeants d’entreprises artisanales. Le projet avait a pour objectif de développer l’effort de recherche appliquée sur l’artisanat et la petite entreprise et de faciliter les collaborations entre deux sphères qui n’avaient guère jusqu’ici l’occasion de collaborer : l’artisanat (entrepreneurs dirigeants et responsables socioprofessionnels de l’artisanat) d’une part, et l’enseignement supérieur et la recherche (universitaires, chercheurs, doctorants).
Rédigés par les équipes universitaires parties prenantes, les articles qui composent ces Annales sont une synthèse des cycles de travail conduits par les Clubs.
Résumé – L’entrepreneur est la figure positive du capitalisme contemporain. En revanche, en dépit des efforts des Institutions des Métiers qui mettent l’accent sur la dimension entrepreneuriale du chef de l’entreprise artisanale, l’artisan, même s’il bénéficie d’une image positive dans le grand public, n’est pas perçu comme innovant et n’est pas appréhendé comme s’inscrivant dans la tradition schumpétérienne de l’entrepreneur.
Son ancrage local et social est fréquemment considéré comme passéiste et inadapté à la globalisation, symbole de repli sur soi, d’enfermement.
Pourtant, retravaillant le concept de proximité sous ses diverses dimensions, nous montrerons comment cette relation à la proximité inscrit l’artisan dans « le nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski et Chiapello, 1999) et fait de l’entreprise artisanale, de son mode d’organisation et de gestion une figure singulière et
anticipatrice des nouvelles structures productives et de leur management en même temps que ces dernières lui imposent de se transformer.
Mots-clés : Artisanat, proximité, nouvelles tendances productives, management, marketing radical.
Malgré les nombreuses limites théoriques et méthodologiques, cette recherche souligne de nouveau l’intérêt de l’approche par la cartographie cognitive des comportements de gestion en TPE/PME. Elle constitue tout autant un outil méthodologique pour le chercheur qu’un outil d’aide à la décision pour le dirigeant
de TPE/PME. Ainsi, sans tomber dans « l’attrape-tout cognitif », il apparaît que « l’explicitation des cartes des managers peut être un formidable moyen de découverte (y compris par eux-mêmes) des ressorts de leur action, et une remarquable occasion d’apprentissage. On voit aussi que les cartes ayant une stabilité certaine, on touche non seulement à des processus ponctuels (comme une décision donnée), mais aussi […] à des processus plus profonds, et plus globaux, qui ont trait à la formulation de la stratégie, à son émergence et à son renouvellement » (Laroche et Nioche, 1994).
Cependant, la vision ne constitue guère un concept nouveau : ni en stratégie ni, encore moins, en anthropologie, en sociologie ou en psychologie… Ce qui constitue peut-être une nouveauté se révèle plutôt une médiatisation fortement accentuée de l’application d’un concept traditionnel redécouvert par la stratégie « moderne » : la vision, suite implicite de l’énoncé de mission et précurseur de la mise en oeuvre opérationnelle.
Cette vision revient aujourd’hui à sa signification entière et profonde, celle de phare vers l’avenir. Non sous la forme d’une planification rigide et détaillée à outrance comme on l’a utilisée jusqu’ici, mais comme un outil imaginatif, flexible, à très fort potentiel de développement heuristique, beaucoup mieux
adapté à la mouvance stratégique contemporaine (Bayad et Garand, 1998).
Dans le contexte polyvalent, flexible, et inconstant des TPE/PME, il faut d’ailleurs reconnaître que toute réflexion, toute décision et toute action s’avèrent intrinsèquement stratégiques. Les conséquences d’un mauvais choix se répercutent directement sur l’ensemble de l’organisation, de ses membres et de ses partenaires. Le propriétaire-dirigeant le moins entrepreneurial n’a d’autre choix que de recourir à sa vision, en espérant qu’elle soit gagnante, de s’assurer que ses proches collaborateurs la partagent et la transmettent à leurs subordonnés, et de coordonner les actions concrètes de la façon la plus cohérente possible. Cette vision ne devra plus seulement s’articuler sur l’élaboration d’objectifs, l’analyse de l’environnement et le positionnement concurrentiel mais sur une démarche heuristique faite de tâtonnement et d’expérimentation (Bayad et Garand, 1998). Un grand nombre d’écrits le confirment (Mintzberg, 1990), la vision occupe dorénavant une position d’omniprésence managériale, tant au niveau humain, technique que financier de la performance.
Il ne s’agit pas de faire de l’artisanat un modèle d’une adaptation réussie au marché reposant sur une maîtrise de la proximité sous ses différentes dimensions. Encore moins d’induire l’idée que l’entreprise artisanale hautnormande aurait trouvé les réponses aux problèmes organisationnels que se posent les grandes entreprises et les remèdes aux difficultés qu’elles rencontrent pour mobiliser leur force de travail. Car les entreprises artisanales échouent aussi ! Il suffit de rappeler ici, comme le déplorent les artisans de notre Club, que de nombreux salariés de l’entreprise artisanale la quittent pour la grande entreprise, pour des raisons diverses sans doute, mais qui permettent de penser que les principes qui la gouvernent et « l’idéal de l’installation » ne sont pas toujours suffisamment attractifs. Ce que l’on a simplement voulu mettre en évidence ici, c’est que l’entreprise artisanale mettait en oeuvre, sous des formes qui lui sont propres eu égard à sa spécificité, et à des degrés divers, – car le monde de ces TPE, com me on l’a dit, recouvre une grande diversité d’entreprises aux
logiques parfois divergentes – des principes que cherche à appliquer la grande entreprise recomposée sous forme de réseau ou restée unitaire. Ceci permet de mettre en lumière quelques-unes des conditions nécessaires à l’introduction de ces innovations et surtout de mettre l’accent sur les potentialités qu’elles offrent, mais aussi sur les risques que comporte la mise en oeuvre de ces principes et sur les procédures ou les outils que leur développement exige.
Summary : The skilled tradesman : anticipation of a new entrepreneurial figure
The entrepreneur is a positive figure in contemporary capitalism. However, despite the efforts on the part of Trade and Professional Institutions, who emphasise the entrepreneurial dimension of being a small business owner, the skilled tradesman himself, even though he may enjoy a positive image among the general public, is not perceived as being innovative and is not seen as falling within the Schumpeterian tradition of the
entrepreneur.
His strong local and social roots are often considered as backward-looking and out of step with globalisation,
a symbol of withdrawal and isolation.
However, revising the concept of proximity in its diverse dimensions, we will show how this close relationship positions the skilled tradesman in “the new spirit of capitalism” (Boltanski and Chiapello, 1999) and makes the cottage industry business and its mode of organisation and management a singular figure that anticipates new productive structures and their management, at the same time as the latter oblige it to change.
Keywords : Cottage industry, proximity, new productive trends, management, radical marketing.